samedi 29 décembre 2018

De l'intérieur, suite.



Il faudrait nous habituer à voir les choses « de l’intérieur », c’est-à-dire se mettre à la place des gens dont on nous parle !

Par exemple, l’histoire de Jésus au temple quand il avait 12 ans. On peut se mettre à la place de Marie et Joseph, affolés devant la fugue de leur garçon. Beaucoup de parents vivent cela aujourd’hui encore, et c’est un drame.

On peut aussi se mettre à la place de Jésus, dans son cœur à lui. On nous dit que sa fugue a duré trois jours. D’abord ce n'était pas  une vraie fugue ; simplement Jésus a senti qu’il devait être là, au Temple, avec son Père. Avec sa sensibilité et ses désirs d’adolescent, il s’est senti attiré, entraîné, aimanté par la Présence de  Dieu  dans cette bâtisse immense et magnifique. Il s’est senti chez lui,  et ça personne, pas même ses parents, ne pouvait le comprendre vraiment. L’évangile le dit d’ailleurs.

Voilà donc Jésus au Temple pendant trois jours, trois jours et deux nuits ! On ne va pas nous faire croire que Jésus a passé trois jours et deux nuits à discuter avec les docteurs de la Loi ! Non, il y eut bien autre chose ! D’abord c’est la première fois que Jésus monte au Temple depuis qu’il a l’âge de raison… On l’imagine entrant seul dans le Temple, un peu perdu, lui le petit villageois de Nazareth,  devant tant de splendeur. Pour lui, ce fut un éblouissement, un ravissement intérieur devant la Présence, un envahissement de la Présence du Père. Ce fut sans doute à l’image de ce que vécut son ancêtre Samuel dont nous parle l'Ancien Testament (1 Samuel 1 et 3). Car là, dans le Temple, Jésus était « chez son Père », autrement dit il était chez lui. Il dut y avoir une rencontre d’amour extraordinaire entre lui et son Père avec l’Esprit…. 

Et Jésus a vécu cela trois jours et deux nuits. Est-ce à ce moment-là qu’il prit l’habitude de prier son Père la nuit ?... On peut imaginer le silence nocturne dans ce Temple immense, et au milieu de ce silence, la rencontre de l’adolescent avec le Père et l’Esprit.



mercredi 5 décembre 2018

intermède: De l'intérieur



Je portais ça dans ma tête depuis longtemps. Plus exactement depuis 1988, au temps où, lors d’une année sabbatique à Paris, je réfléchissais à mon parcours depuis 1960, au temps de mon arrivée à Sir. Je me demandais pourquoi ces vingt premières années  furent parmi les plus heureuses de ma vie ?
Rapidement, la réponse m’est venue : en vingt ans, j’ai eu le temps, on m’a laissé le temps, d’entrer dans un peuple… Mais alors, d’y entrer vraiment, de vivre  ce peuple pour ainsi dire « de l’intérieur ». Je m’explique : on peut vivre dans un coin pendant des années, et rester extérieur à ce coin ! On peut vivre dans un peuple, mais à l’état de touriste perpétuel. On collectionne quelques objets curieux, on tire quelques diapos, on bafouille quelques mots de la langue. On a quelques amis bien sûr, mais on n’entre pas vraiment « dedans ». Et on quitte le pays sans état d’âme.
Connaître un peuple de l’intérieur, c’est difficile à décrire. Dans un premier livre, j’avais parlé de « connivence ». Un mot imparfait, mais qui signifie quand même que l'on dépasse le niveau de la tête, de la connaissance, pour arriver au niveau du cœur. La connivence, c’est ce lien qui n’a plus besoin de paroles,  un ressenti partagé, une sorte de sixième sens  qui vous faire dire « On se comprend ». C’est se surprendre à avoir les mêmes réactions de défense ou de fureur, le même humour face à la vie, les mêmes rires. C’est entrer dans la joie démente des fêtes, dans la douleur des parents dont le petit a été tué par un serpent. C’est aussi épouser la même révolte devant les injustices du pouvoir.

Pourquoi dis-je cela maintenant ? Parce qu’au niveau de ma foi, je crois que je suis en train de vivre la même chose. Là aussi c’est difficile à expliquer. Disons que certaines paroles de l’Evangile, pas toutes, je suis "entré dedans". Là encore, il ne s’agit plus seulement de la tête, mais du cœur. Ne m’en demandez pas plus, je  ne puis dire qu’une chose : je vis cela de l’intérieur, je me dis « Cette parole, c’est pour moi ! ».
Allons plus loin … Maintenant je comprends. Ou plutôt je crois, je  crois qu’en me permettant d’entrer dans ce peuple kapsiki pendant vingt ans, Dieu me faisait prendre un chemin pour qu’aujourd’hui je comprenne l’Evangile « de l’intérieur ». Comme le Christ est venu chez nous pour nous connaître « de l’intérieur ». On appelle ça l’Incarnation…  Vous allez me dire : « Depuis soixante ans que tu es prêtre, tu en a mis le temps ! » Possible, mais pour Dieu, le temps compte peu, il a son Heure. 
J’ai envie de me mettre dans la peau de St Augustin (fin 4ème siècle) :
« Tard je t’ai aimé, ô beauté si ancienne et si nouvelle ! Tard je t’ai aimé ! Mais quoi ! Tu étais au dedans de moi, et c’est au dehors que je t’ai cherché ! »

samedi 17 novembre 2018

3. "Est descendu aux enfers"



Pour comprendre cette formule du credo, il faut remonter dans le temps, avant Jésus. Les anciens juifs disaient que les morts se retrouvaient dans une espèce de salle des pas perdus où ils restaient là, vivotant comme des rats dans une cave, et sans doute s’ennuyant prodigieusement ! Ils appelaient ça le Shéol. Tous les défunts y avaient droit. On en trouve une description saisissante dans le psaume 88.  Sans gros efforts, on pourrait imaginer des lieux plus sympathiques !

Donc, quand nous disons que Jésus « est descendu aux enfers », il faut traduire « est descendu au Shéol ». Ce n’était pas tellement un lieu de souffrance comme on parle de l’enfer des camps de concentration, plutôt un lieu d’attente… Depuis longtemps, l’Eglise a réfléchi : si Jésus est ressuscité, nous ressusciterons tous après lui. Oui, bon, mais les gens qui sont morts avant Jésus et qui sont dans le Shéol ??? Sont-ils privés du ciel ? Alors au 9ème siècle, on a trouvé cette image magnifique de Jésus descendant au plus bas, jusqu’au Shéol, pour en tirer ceux et celles qui sont morts avant lui, tous les Adam, Eve, Abraham, Moïse etc.…

Je dis bien : « Jésus est descendu au plus bas. » Il a commencé à « descendre » chez nous à  Noël – c’est déjà assez bas ! – et il a continué sa descente jusqu’à ce lieu où l’attendaient les anciens…. On peut dire que là, Jésus est allé au bout de son Incarnation. J’aime bien ce que Christian Bobin a écrit dans « Le très Bas » : « La haine rassemble les hommes sous la puissance d’une idée ou d’un nom, mais l’amour les délivre un à un par la faiblesse d’un visage ou d’une voix. »… Voilà ce que veut dire « est descendu aux enfers ».
Remarquons que, déjà au temps de Moïse, Dieu était déjà descendu, mais oui ! Il faut relire le livre de l’Exode : 
Exode 3/[7] Le SEIGNEUR dit : " J'ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l'ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances.
[8] Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel.

Si Dieu « descend » chez quelqu’un, c’est toujours pour l’aider à remonter, pour le libérer. Voyez Zachée. Pour imaginer ce que c’est, que les anciens se souviennent de la Libération, quand les hommes en kaki arrivèrent : un vent inouï de liberté, une joie débordante, on dansait dans les rues, on embrassait même les inconnus.

Il y a bien d’autres enfermements, nous en sommes témoins tous les jours : la dépression, la trop grande souffrance, les addictions de toute sorte… C’est de toutes ces morts  que Jésus vient nous délivrer. Il est entré lui-même dans nos enfers, dans nos shéols. Pas pour s’apitoyer et pleurer à chaudes larmes, mais pour nous tirer de là.       

Voilà comment et pourquoi Jésus est « descendu aux enfers ».  




mardi 6 novembre 2018

2. Après la mort, qu'est-ce qu'il y a?




        La réponse peut aller du haussement d’épaules qui veut dire : «  Question farfelue ou inutile. On s’en balance ! L’important est de vivre maintenant. » jusqu’à « Personne n’en sait rien », avec parfois une pointe d’angoisse.
    Hé oui, personne n’en sait rien ! François Mitterand, mourant, disait paraît-il : « Enfin, je vais savoir ! »… Il y a bien ces personnes qui racontent ce qu’elles ont vécu alors qu’elles étaient en état de mort apparente, et ce qu’elles ont vu avant de « revenir sur terre ». Etonnant, mais là encore on reste dans la conjecture. Bien que tous les  « revenants »   ou presque, disent avoir vu un puits de lumière et d’amour, à la façon de cette toile de Jérôme Bosch « L’ascension des élus »….

        Mais tournons-nous vers la foi.  Que nous dit notre foi ?

       D’abord, il faut changer la question. Non pas « Qu’est-ce qu’il y a après la mort », mais « Qu’est-ce qu’il y a après la vie ? » Cela remet la mort à sa place, elle n’est qu’un passage.
      Ensuite ? Nous sommes comme le monsieur ébloui par la voiture  qui a oublié de mettre ses phares en code. La Résurrection de Jésus est ce puits de lumière qui nous remplit les yeux. Retentit alors la grosse voix de St Paul : «  Dieu qui,  par sa puissance, a ressuscité Jésus, nous ressuscitera aussi. » 1 Cor 6/14. Il fait écho à la parole de Jésus à Marthe devant le tombeau de Lazare : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » … Voilà des paroles éblouissantes pour le croyant. Cela veut dire que par la mort, nous passons de la vie à la vie, tout simplement. Car là où est passé Jésus, nous passerons nous aussi. Tout le temps Jésus disait « Suivez-moi ! ». Donc, s’il est passé par la mort, nous aussi ! S’il est vivant après la mort, nous aussi !

        Bien sûr, ce que je dis là c’est de l’hébreu pour l’incroyant. Tant pis ! Moi  je suis croyant, et ce que je dis là est la base de ma foi, le béton, le roc de ma foi. Pour moi, il ne s’agit pas de « pluquer » dans l’Evangile, comme on dit dans le Nord. Il ne s’agit pas de dire : « Je prends ceci, je laisse cela. Je prends l’amour,  je laisse la Résurrection. » Non, l’Evangile est un tout. Et si je crois, je prends tout !

      Donc Jésus est ressuscité, et en sortant de la mort, il nous a ouvert la voie. Nous sommes les enfants de la promesse que Jésus a faite dans l’évangile de St Jean 14/3 : « Je reviendrai et je vous prendrai avec moi. »



vendredi 19 octobre 2018

Les "fins dernières"

Je commence aujourd'hui une réflexion sur ce qu'on appelle les "fins dernières". Autrement dit la fin des fins, la vie après la mort... Sujet plutôt austère, peu abordé actuellement. Mais il faut bien s'y mettre! Car après la mort, est-ce que tout finit, ou tout commence?


1.   Nous disons le « Je crois en Dieu » pendant la messe, parfois un peu machinalement !  La fin  est quand même bizarre quand on y pense : Jésus « descendu aux enfers », la communion des saints, la vie éternelle, tout ça… Mais derrière ces expressions assez insolites, il y a des réalités que nous allons essayer d’éclairer. Il s’agit de tout un ensemble qu’on appelle les « fins dernières »,  ce qu’on a pu appeler plus récemment « la vie après la vie ».

     Au  cours des âges, bien des curés ont prêché sur les fins dernières. Parfois abondamment, parfois fort peu. Ce fut comme la pendule de ma grand’mère, on a balancé ! Il fut un temps où l’on parlait beaucoup du ciel, de l’enfer, du jugement dernier. Témoins les tympans de nos cathédrales avec ces petits bonhommes sculptés, les uns montant au ciel, les autres  dégringolant en enfer, y compris des évêques ! Il fallait faire réfléchir les gens en ces temps de fer, résonnant du fracas  des batailles, des cris des pestiférés, de la mort partout….


     Mais actuellement, c’est le retour du balancier : on ne parle plus beaucoup des fins dernières. L’enfer ? Peut-être croit-on qu’on a fait mieux au temps des camps de concentration. Et puis, le péché, se convertir ? On y pense moins, et d’ailleurs on n’a pas tellement le temps d’y penser... Il faut remettre la balle au centre et le balancier à midi.  Bien sûr il ne s’agit ni de faire dresser les cheveux sur la tête ni à l’inverse de hausser les épaules. Non, il s’agit de regarder avec notre foi chrétienne, avec l’Evangile, ce qui se passe après la mort, car cela fait partie de la vie. Donc, posons un regard clair sur l’après-mort, un regard de croyants.
      
     Dans cette recherche, il faudra faire preuve d’humilité. Humilité devant les anciens. Ceux d’entre eux qui ont réfléchi sur la mort, n’étaient pas tous des rêveurs. D'autant plus que l’Esprit-Saint  les guidait ! Qu’il y ait eu des exagérations, d’accord.  Il fallait bien faire réfléchir les soudards, les prédateurs et autres égorgeurs, nous l’avons dit. Et puis, reconnaissons que l’Eglise, cette vieille dame réfléchissant sur la Bible et la Tradition, garde un fond de sagesse dont il faut bien tenir compte.

     Une autre raison de rester humbles dans notre recherche, c’est que nous entrons dans le mystère de Dieu. Alors, faisons comme le chercheur qui met la main devant sa bouche quand il ne sait pas...Ceci dit, entrons résolument dans cette question qui, tôt ou tard, nous brûlera les lèvres : qu’est-ce qu’il y a après  la mort ?

samedi 11 août 2018

Oiseaux de repos



Pourquoi « de repos » ? Parce que nous sommes au mois d’août, le temps du farniente, où l’on peut rêvasser, lire un peu, brunir beaucoup. Alors, parler des oiseaux, cela me repose aussi.

Certain oiseaux passent comme l’éclair, laissant un sillage de lumière comme le martin-pêcheur, ou le rollier, cet oiseau qui nous vient d’Afrique. D’autres planent, tout aussi colorés, comme le guêpier. On le voit noir le plus souvent, mais dès qu’un rayon de soleil l’attrape, c’est un festival de couleurs… C’est aussi un passionné de la voltige.

D’autres laissent une impression de puissance. L’autre soir, j’observais tout un vol de spatules partant au gagnage. Alors que les flamants qui passent semblent un peu irréels, un trait rose sur l’horizon, les spatules sont plus finies, leur bec en cuiller tendus vers la pitance prochaine, et respectant entre elles des distances rigoureuses. J’aime aussi le V parfait, et bruyant, des grues au petit matin. Mais la palme de la puissance revient aux cygnes, surtout les cygnes chanteurs. L’hiver dernier, j’observais une trentaine d’entre eux évoluant très haut dans le ciel de Camargue, remplissant l’espace de  leurs trompettes. Etait-ce un vol nuptial ? Apparemment ils n’étaient pas du tout disposés à descendre, se contentant de tourner inlassablement sur le marais.

Il y a encore les oiseaux-mystère. Ceux qu’on entend mais qu’on ne voit jamais. Le butor entre autres, fort difficile à repérer dans la roselière, mais dont on entend le drôle de poup-poup-poup à des kilomètres. Et les rossignols ? Au printemps ils remplissent le  bord des ruisseaux de leurs splendides partitions, mais allez les voir ! Je crois en avoir aperçu un par hasard, mais si fut si fugace que j’ai encore des doutes !

Parfois, par chance, vous tombez sur l’oiseau rare, celui que vous pistez depuis des mois et qui vous fait la grâce de rester là, bien tranquille, le temps d’une photo. Ainsi de l’œdicnème criard, si fréquent en Afrique, un oiseau de terre nichant dans la Crau. Et la glaréole… Mais vous allez me dire que je fais le pédant alors que je ne suis qu’un passionné. N’empêche. Si vous avez comme moi  l’occasion de voir un cygne noir ou un harle huppé, vous comprendrez mon émotion, j’en suis certain.

Il y a enfin les timides, comme le héron bihoreau qui ne sort que le soir, ou l’ibis noir qui a envahi la Camargue depuis 4 ou 5 ans. Toujours affairés comme tous les oiseaux d’eau, ils s’envolent dans un grand désordre… pour se reposer pas très loin, l’œil aux aguets. J’ai d’ailleurs remarqué que bien des « becs courbes », comme le courlis ou l’avocette, ont le même comportement.

S’il vous plaît, ne vous énervez pas si je vous parle d’oiseaux. Tout oiseau qui me passe sur la tête, me fait rêver. Mon côté poète, qui n’est pas très développé, se réveille alors devant la grâce fragile de l’échasse ou l’envol  en fusée des  sarcelles. Et puis, en ce temps où l’on se demande si les animaux ont une âme, il me plaît de constater combien le comportement des oiseaux rejoint parfois celui des humains. Est-ce pour cela que, depuis la nuit des temps, l’oiseau est riche de symboles ? Dans le Dictionnaire des symboles, rien que 32 pages sont consacrées aux oiseaux. Chez les Kapsiki du Cameroun, chaque chant se traduit en langage humain, souvent de façon cocasse, mais toujours étonnamment juste.

Septembre arrive. On ne rêvera plus …

dimanche 5 août 2018

7. L’amour ne meurt pas.




La mort et l’amour, cela semble contradictoire. Car ma foi me dit que l’amour ne meurt pas, qu’il ne peut pas mourir.

Et pourtant, depuis Tristan et Yseult, la littérature nous a habitués à voir la mort et l’amour cohabiter. Et même : l’amour comporte toujours une part de mort, de mort à soi-même. Et ce n’est pas du roman ! Le Christ a dit qu’il n’y avait pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.  Ce lien entre l’amour et la mort nous aide à comprendre le Christ.  Sans ce lien, la vie et la mort de Jésus deviennent une vie et une mort pour rien, absurde, un échec sans appel.

Mais l’amour ne meurt pas. Il traverse la mort, oui, mais il ne meurt pas. C’est pour cela que ma foi me dit que la Résurrection, c’est possible. En disant que Jésus, mort pour nous, a fait sauter les portes de la mort, j’arrive à comprendre que la Résurrection est possible. L’image du grain qui meurt est la plus forte que je connaisse pour nous aider à entrer dans ce mystère de la résurrection. Et, en étant un peu fou mais pas trop, je  me dis que tout don de soi, le mien, le vôtre, celui du croyant comme de l’incroyant, participe de la Résurrection.

Car la Résurrection, nous la vivons dès maintenant, nous la voyons ! Il y a le bonheur, rare, de voir quelqu’un que nous avons aidé se remettre debout et retrouver le goût de vivre. Je dis « rare » parce que le travail pour les autres est souvent ingrat, au ras du sol, avec l’impression de toujours avoir à recommencer. Mais parfois, la joie se lit dans des yeux, un sourire illumine un regard jusqu’alors vide, l’espérance renaît. Un peu comme la joie des gens quand le puits creusé arrivait à l’eau. J’ai même vu   des larmes de bonheur, là au bord de l’eau. Cette joie, c’est   notre petite participation à la Résurrection. Le don de moi-même a fait sauter les portes de la mort. Je devrais dire le don de nous-mêmes, car on ne travaille jamais seul pour les autres.

Pour terminer ces méditations, j’ai envie de citer ce passage saisissant  d’un livre de Tolstoï, La guerre et la paix : le jeune Pétia s’est lancé dans la bataille de Sébastopol pour aider son pays à lutter contre l’envahisseur, en l’occurrence les français !
« Dans le feu de la bataille, Pétia entend monter une fugue qui devient un chant d’église, qui devient un Te Deum. « Ah mais on dirait que c’est un rêve, se disait Pétia. J’en ai plein les oreilles. Tiens la revoilà hardie ma musique ! Allons-y ! » La balle lui transperce la tête mais la musique continue. Et la fin de cet adolescent ouvre l’outre-monde dans lequel il pénètre avec la joie et l’innocence  de son âge. Il était musique avant sa naissance, il la redevient alors même qu’il quitte sa vie terrestre ; ainsi, il continue cette hymne éternelle qui dit sa présence dans l’univers. »

Oui, la musique de l’amour traverse la mort.



mardi 10 juillet 2018

6. La mort





«  La mort avec sa gueule de raie. »… Oui, la mort fait peur, elle fait peur à tout le monde, même à ceux qui crient « Même pas peur ! ». Or je vais dire quelque chose de terriblement austère ; mais pour notre recherche, il faut la dire : Etty Hillesum (décidément je l’aime !) disait : « S’engager, c’est accepter la mort. »
Là, nous sommes au centre du don de soi, vraiment au centre. La parole de Jésus en Marc 8/38, nous le rappelle : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il prenne sa croix… » Mais il suffit de le regarder, lui Jésus : son engagement-pour-les-autres l’a conduit tout droit à la croix. Il avait envisagé sa mort, mais courageusement il a continué.
Personne ne va à la mort en chantant et la fleur au chapeau ; laissons ce cliché aux va-t-en-guerre des deux dernières. Jésus, lui,  a vécu sa souffrance et sa mort difficilement, avec angoisse à mesure que l’Heure approchait.  Or il l’a fait pour nous.

Mais il y a plusieurs genres de mort ; outre la mort définitive, il y a la mort « à petit feu », à feu doux. Et c’est là que se place pour nous le don de soi. Quitter ses pantoufles chaque jour pour aller vers les autres, c’est une mort ! Une petite mort peut-être, mais vécue au quotidien. J’ai déjà évoqué le papa qui, rentrant du travail, trouve son petit garçon qui joue sur le tapis. Fatigué, le  monsieur se carre dans son fauteuil et ouvre son journal. C’est  alors qu’une  petite voix monte du tapis : « Papa, s’il te plaît, viens jouer avec moi ! »  Et le papa lâche son journal et s’assied sur le tapis. Cela n’a l’air de rien, mais voilà ce que j’appelle une « petite mort ». Le papa a sacrifié son fauteuil pour faire plaisir à son garçon.
Il y a une belle expression en français : la maman « se consume » pour ses enfants. Voilà le petit feu ! Sœur Marie-Paula, que j’ai connue au Cameroun, se consumait pour ses lépreux. Elle s’est tellement consumée qu’elle est morte de la lèpre. .. Guynemer avait raison : « On n’a rien donné tant qu’on n’a pas tout donné. »

Pour finir, c’est ainsi que l’on voit vivre Jésus dans l’évangile. Toujours chez les autres, toujours attentif aux autres, toujours prêt à secourir les autres, au point de violer le repos du sabbat : la fille de Jaïre, la femme adultère, l’ami Lazare. Sa vie-pour-les –autres prépare sa mort. Elle est déjà une « mort à petit feu » !
Il ne faut pas dramatiser. Mais soulignons que cette mort quotidienne est aussi une mort par amour. Alors là, ça change tout ! L’amour et la mort sont frère et sœur. Tant qu’on n’a pas  allié les deux, on ne comprendra rien à l’Evangile.

Nous verrons cela la prochaine fois.

mercredi 27 juin 2018

5. Les perversions du don de soi.





Qu’est-il arrivé à Robert Mugabé, le potentat du Zimbabwé  sorti l'an dernier par un putsch militaire ? De militant pour l’indépendance de son pays, tout donné à « la cause », ayant passé dix ans dans les prisons du pouvoir blanc, il s’était mué peu à peu en tyran sanguinaire ! Après avoir affronté la mort pour lui-même, il avait imposé la mort aux autres, et ce pendant des années !  Au début, il croyait que pour vivre il fallait accepter de mourir. Ensuite, il a pensé que pour vivre, il fallait faire mourir les autres.
Que s’est-il passé ? C’est un cas extrême, mais typique : le don de soi du jeune Mugabé s’est mué peu à peu en recherche de soi, du pouvoir à tout prix. Comme quoi tout engagement pour les autres peut se pervertir… Dans la Bible, le diable manie la soif de pouvoir avec beaucoup de savoir-faire !


La lutte de Mugabé pour libérer son pays fut-elle gangrenée dès le départ par une ambition démente ? Nous ne savons pas. Toujours est-il qu’à l’instar du dictateur, on peut utiliser son propre dévouement comme une échelle pour parvenir à la gloire, à l’admiration des autres. Bien sûr, dans le don de soi il y a le désir de se réaliser, de donner un sens à sa vie, c’est normal. Mais quand la soif de réussir prend le pas sur l’amour sans calculs, alors casse-cou !

D’accord nos engagements ne sont jamais chimiquement purs, il y a toujours un peu de recherche de soi, de recherche de l’estime de soi. C’est pourquoi il est très nécessaire de s’arrêter de temps en temps, de s’asseoir pour faire le point : « Pour quoi suis-je envoyé ? Est-ce que cela me rend heureux ? Est-ce que je cours trop ? Et la place de la prière là-dedans ? »

J’ai connu des personnes qui agitaient leur dévouement comme un drapeau, un peu à la manière de St Paul. Il faut relire l’étonnante énumération en 2 Cor11/23-26.  Cela me gêne  de dire cela,   car il ne faut pas décourager les bonnes volontés. Mais dans l’engagement, le facteur temps est important. D’ailleurs, si ton engagement connaît des difficultés, si tu es contesté, que cette contestation dure, et que tu tiennes le coup sans fla-fla, discrètement mais avec obstination, c’est signe que ton engagement est vrai.

Pour que le don reste authentique, il faut sans cesse se remettre en question, surtout au moment où tu es appelé à prendre de plus grandes responsabilités. Rien de pire que les « fonctionnaires de la bienfaisance » et les don Quichotte du dévouement. Non, il ne faut pas encombrer les autres avec notre bonne volonté. Et là, nous arrivons à un autre mystère. S’il te faut garder humilité et humour dans le don de toi-même, c’est que ton engagement ne sera vrai que s’il envisage la mort. Voilà : jusqu’à la mort. 
Sinon rien.


mercredi 13 juin 2018

4. Tu peux toujours dire non, ou "On verra".



    Que faire devant cet appel insistant qui te fait sortir de toi-même et de tes pantoufles ?
         Les réponses sont diverses : tu peux foncer à corps perdu, à la manière de Charles de Foucauld. Tu peux aussi dire « non », définitivement. Boucler la porte de ton cœur… Il y en a que la vie anesthésie, le confort, l’argent, tout ça. Au monsieur bien mis qui demande à Jésus la recette pour aller au ciel, Jésus dit carrément : « Va, vends tes biens, suis-moi ! » Et l’autre  a calé car, dit l’Evangile, « il avait de grands biens »(Mc10/22).
            
       Entre nous, Jésus n’y connaissait pas grand-chose en matière de pub. A cet homme qui veut le suivre, il dit : « Les renards ont des terriers, mais le Fils de l’Homme (c’est-à-dire lui-même), n’a pas une pierre pour poser sa tête pour dormir. » Mt 8/20… Quand on veut recruter, on ne dit pas ça ! Mais disons-nous bien qu’à celui qui veut s’engager pour les autres, Dieu ne propose pas la vie en rose ! Nous y reviendrons.

Si nous ouvrons l’Ancien Testament, nous constatons que chez ceux que Dieu a appelés, les hésitations, les marches arrière, les refus n’ont pas manqué. Moïse le premier. Voyez cette comédie quand Dieu veut l’envoyer dire un mot à Pharaon pour libérer son Peuple. Première réponse de Moïse : « Je suis trop jeune. » Deuxième réponse : « Je ne sais même pas Ton Nom, Toi qui veux m’envoyer. » Troisième réponse : « Personne ne me prendra au sérieux. » Quatrième réponse : « Je bégaie, envoie un  autre ! »Cinquième réponse : « Envoie qui tu veux, mais pas moi. » … Il y a de quoi s’énerver. Mais la patience de Dieu est sans bornes, c’est la patience de l’amour. Et Moïse finit par y aller.

Des gens qui discutent avec Dieu qui les envoie, il y en a beaucoup dans la Bible : Jérémie, Jonas. Il faut lire le livre de Jonas! C’est un joli conte, mais plein de sagesse. Jonas est un homme sympathique qui pourrait être le monsieur Tout-le-monde que nous croisons dans nos rues. Dieu veut l’envoyer convertir Ninive, une mission à haut risque à vrai dire ! Et Jonas se défile, il fuit par la mer; ce faisant, il est tout à fait dans son  droit, il est libre... Mais Dieu ne désarme pas et suscite une tempête. Et c’est le coup de Jonas passant trois jours dans le ventre de la baleine ! Cette retraite forcée l’oblige à réfléchir, et le poisson le rejette sur la rive, face à Ninive… J’aime bien Jonas, c’est un garçon qui a du tempérament ; par la suite, il s’énervera sérieusement contre Dieu le très-Patient.
Cette histoire nous rappelle que celui qui est appelé , que ce soit par Dieu ou par sa conscience, est absolument libre de sa décision. Et c’est ce qui fait sa grandeur. Dieu, ou ta conscience, ne te prend pas par peur, ou par intérêt, ou par surprise. Ta réponse est  libre, libre au point que tu peux toujours récupérer ta mise et soit reprendre tes pantoufles, soit t’engager autrement.

Dans cette aventure du don de soi, il y a ceux qui détournent l’appel qu’ils ont reçu. Des faussaires de l’Evangile, qui disent oui tout en faisant non. C’est ce que nous verrons bientôt.



mardi 5 juin 2018

3. Le don de soi, un appel




Tout le monde a des yeux pour voir ! Mais cela ne suffit pas pour s’engager. Chez certains, la vue de la détresse leur fait le même effet que de l’eau sur les plumes d’un canard. Chez eux, l’appel des pantoufles est plus puissant.

Non ! Chez celui qui « voit avec son cœur », il se produit une alchimie assez mystérieuse, une sorte d’appel intérieur qui le tire hors de lui-même pour aller vers les autres. L’incroyant dira que cet appel c’est sa conscience, et c’est vrai. Le croyant ira plus loin, en faisant remonter l’appel à Dieu. Et il nommera cela « vocation ».

Comment se fait entendre cette vocation intérieure ?   Alors là il y a autant de types de vocations que d’hommes  et de femmes qui s’engagent. Pour beaucoup, il y a un choc au départ. A l’image de « L’opticien de Lampédusa », de E.J. Kirby. Ce gentil commerçant, au cours d’une balade en mer, se retrouve en plein drame : des migrants par dizaines en train de se noyer… Pour notre homme et sa femme, c’est un choc qui marquera à jamais leur engagement… Oui, à l’instar de Dieu qui a vu la misère de son Peuple, des gens ne peuvent plus dormir après avoir vu la peine des autres. C’est tout à leur honneur. Entre nous, c’est bien l’honneur de l’Europe que de gérer au mieux l’accueil des migrants.

Mais Dieu – ou la conscience  – a d’autres cordes à son arc ! Une lecture, une séquence à la télé, l’exemple d’un voisin, un SDF qui demande un bout de pain,  voire un long séjour à l’hôpital après un accident, tout peut entraîner une  prise de conscience…. Toujours est-il que personne ne s’envoie tout seul. Il faut toujours un appel extérieur, un concours de circonstances que les chrétiens appellent providence. Donc restons humbles, ne jouons pas   les abbés Pierre du monde, mais en secret, remercions celui, Dieu ou un autre, qui nous appelés. Et si d’aventure nous nous demandons : « Pourquoi moi ? », devinons que c’est un geste d’estime et un honneur, voire un signe d’amour, que l’on nous fait.

Je voudrais simplement, pour terminer, évoquer une sorte d’appel que j’ai vécu et que – je le sais – bien d’autres ont vécu. C’est un appel puissant, intérieur, entendu - pour moi - une nuit. Un appel bouleversant qui vous laisse ébloui comme après un beau rêve. Un appel insistant aussi : j’ai moi-même essayé de le faire taire pendant un an, en vain. Sans vouloir faire le malin, je l’ai comparé à la fameuse « nuit de Pascal » telle qu’il la décrit au début de ses « Pensées ». Ou, plus récemment, à la « Nuit de feu » d’Eric-Emmanuel Schmitt... Cet appel a décidé de ma vie missionnaire.

J’en témoigne ici, tout en me disant que les manières de Dieu sont souvent bizarres ! Exactement ce que le prophète Isaïe devait se dire quand Dieu l’a appelé :
« J’entendis alors la voix du Seigneur  qui disait : « Qui enverrai-je ? » Je dis : « Me voici ! » Il dit : « Tu diras à ce peuple : « Ecoutez bien, mais sans comprendre, regardez bien, mais sans reconnaître !... » …

Pas facile !

jeudi 24 mai 2018

2..Voir

Voici la deuxième méditation concernant le don de soi.



Pour aller vers les autres, il faut d’abord… les voir ! Et de préférence, les voir avec les yeux du cœur. La Mission, c’est d’abord ouvrir les yeux sur le monde.
Or, le premier à avoir vu, qui est même un expert en vision, c’est Dieu lui-même. Ouvrons la Bible au livre de l’Exode et écoutons : « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte, je l’ai entendu crier… Alors je suis descendu. » Nous passons du Dieu nomade au Dieu qui voit et qui vient.

Ce n’est pas prendre Dieu pour un  homme que de dire qu’il voit avec les yeux du cœur. Un regard lent à la colère. Tout au long de l’Ancien Testament, Dieu passe son temps à regarder son peuple, furieux dans un premier temps en les voyant dérailler, mais toujours prêt à ne pas mettre leurs frasques en mémoire.
Quel est-il, ce Dieu qui voit avec son cœur ? On le devine dans l’Ancien Testament, mais bien davantage dans les évangiles. Si Jésus est en plein dans la Mission telle que nous l’avons évoquée hier, cela vient d’abord du regard d’amour qu’il porte sur les gens et les choses.  Un regard qui voit à l’intérieur. D’emblée Jésus voit « ce qu’il y a dans l’homme » ; alors sa Parole peut aller droit au cœur des gens.

Souvenons-nous de la veuve dans le Temple. Elle glisse une petite pièce dans le tronc, alors que les « el-hadji », les « grands », mettent des billets en les froissant bien pour qu’on les entende. Et Jésus de dire : « Cette dame, dans sa pauvreté, a donné tout ce qu’elle avait pour vivre. » En clair, elle a donné plus que les « grands »… Jésus a vu !
J’insiste sur les yeux du cœur. J’étais un jour dans un village de Navarre avec une religieuse qui en était originaire. A notre passage, les fenêtres s’ouvraient : « Adios ! Carmen ! » Et un tas de bonnes paroles que je ne comprenais pas. On aurait dit que nous avions récolté un Oscar à Cannes ! Et la sœur de me dire : « On va aller voir la française du village. » On sonne, on ouvre : « Bonjour madame la française ! Vous êtes bien ici ? » « Oh vous savez, chacun chez soi, on est bien mieux comme ça ! » La bulle ! Dans ta bulle, il n’y a pas de fenêtre sur le village.

Toutes les Associations sont parties du regard d’un homme, d’une femme qui ont ouvert les yeux sur leur monde. C’est peut-être ceux-là qu’on appelle des « donneurs d’alerte ». Bien plus : ces vigilants appellent leurs voisins :"Est-ce que tu vois ce que je vois ? » Un chrétien qui voit, rejoint celui qui ne croit pas comme lui. Mais à deux, ils ont un regard grand comme le monde. Alors ensemble, ils s’engagent.

Terminons en rappelant les affiches de Vigipirate : « Ensemble, attentifs. » Pas seulement pour repérer l’homme au couteau entre les dents, mais attentifs pour voir la détresse du monde.


lundi 14 mai 2018

Donner sa vie - 1. La question

Je commence aujourd'hui une série de méditations données récemment sur RCF Vaucluse ;.


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En langage chrétien, quand on dit « missionnaire », on pense d’emblée à ces personnages, barbus de préférence, dont les récits exotiques ont bercé notre enfance…. Sortons des clichés, essayons de regarder notre Eglise, notre pays, ici en France et en Europe. Car nous savons que la Mission est à nos portes.

A bien regarder nos villes, nos quartiers, nos campagnes, on reste confondu par le nombre d’associations qui donnent leur couleur à la vie d’ici, qui animent villes et villages : Restos du Cœur, pompiers volontaires, CCFD, Secours Populaire, associations pour la sauvegarde du patrimoine etc… On ne peut tout nommer tellement il y en a ! En clair, il y a en France et en Europe, une foule de gens qui s’engagent pour les autres. Et ne vous avisez pas de leur demander combien ils sont payés ! N’est-ce pas ça la Mission ?
Tous ces gens qui s’engagent  pour-les-autres, se passionnent pour leur engagement.  Ils  n’entrent pas dans une association  pour huit jours, mais ils visent le long terme. Et il faut voir l’ambiance dans ces groupes! Le plus souvent, la joie de vivre et l’allant le disputent à la compétence et au dévouement.  Nous avons affaire à des gens qui se passionnent, prêts à recevoir des coups au besoin, à braver le froid en partant marauder à la rencontre des SDF, à sacrifier leurs loisirs à l’occasion...
Bon, on n’est pas là pour distribuer des médailles, d’ailleurs ils n’en veulent pas, ces bienfaisants ! Mais il est bon de rappeler que le dévouement existe dans notre société européenne; cela devient même une marque de notre culture, ne craignons pas de le dire !

Il y a donc en France, en Europe, des légions de « missionnaires » entre guillemets. Il ne s’agit plus tant de prendre l’avion pour aller au loin, même si cette  aventure garde toute son actualité et fait partie d’une solide tradition française. Mais ici, sur place, que de gens se lancent dans l’aventure du don de soi ! Cela fait même partie , pour les jeunes, d’un parcours éducatif équilibré, dépassant le seul critère de la réussite et de la performance…. Voyez la vitalité des Mouvements de  jeunesse. Il n’y en a pas assez, mais ceux qui existent viennent de partout. J’ai déjà cité une animatrice de rue extraordinaire ; un sens des autres hors du commun, une bonté triomphant  de tous les échecs. Or cette fille avait grandi dans les Jeunesses communistes.

Alors voilà la question que nous nous posons et à laquelle nous essaierons de répondre   : qu’est-ce qui pousse ces hommes, ces femmes, ces jeunes à s’engager pour les autres ? De quelle mission se sentent-ils investis pour sortir ainsi de chez eux et de leurs pantoufles ?

La question est simple, les réponses peuvent être multiples.

dimanche 29 avril 2018

Rien n'est inné!


Je voudrais simplement me faire l’écho d’un de mes collègues intervenant lors d’une assemblée. Il expliquait que les différences de comportement entre les hommes viennent d’une éducation différente, et cette éducation dépend de la vision du monde que se fait l’éducateur. Que ce soit ici en Europe ou ailleurs dans le monde, rien n’est inné, tout est acquis !
C’est tellement vrai ! J’avais  donné  un morceau de pain à un enfant au Nord-Cameroun. Le petit prend le morceau… et regarde autour de lui pour voir avec qui il pourrait bien partager. J’en avais les larmes aux yeux d’admiration.
Autre exemple vécu très souvent. Avant le temps de l’école, les enfants partent garder les chèvres en brousse. Et là, ils tuent le temps en chassant des sauterelles, des petits oiseaux attrapés à la glu, des souris forcées dans leur trou. Au retour, leur petit sac en fibres d’écorce bien rempli, il est impensable qu’ils rentrent à la maison sans partager une partie de leur chasse avec le grand-père assis là dans la cour d’entrée. Et s’il n’y est pas, ils l’appellent !

Quand j’étais enfant, j’ai très vite appris ce qu’est la propriété : « Mon vélo », « mes jouets, » « mon papa ». En Afrique, l’enfant apprend qu’il n’est rien hors d’un collectif, d’un clan, d’une société qui l’entourent et le protègent. Hors de chez lui, c’est l’inconnu, le danger. Les kapsiki ont gardé cette peur du dehors en appelant la brousse et la mort du même nom : mte. L’important, c’est la relation à l’autre…. Question d’éducation !

En France  nos villes, voire nos villages, sont de plus en plus cosmopolites. Et en côtoyant « l’autre », nous découvrons  la richesse de sa vision du monde et de l’homme. Alors, nous français, cessons de  nous penser comme la référence unique. On parle d’intégration de ceux qui viennent chez nous. Peut-être faut-il penser cette intégration comme étant à double sens : qu’ils prennent chez nous ce qu’il y a de meilleur, que nous prenions chez eux ce qu’ils ont de meilleur. Si nous attendons qu’ils nous copient simplement, ne nous étonnons pas des replis identitaires et des accusations de néo-colonialisme.
Comme disait mon collègue : «  L’étranger qui vient chez toi n’a rien à te faire cadeau. C’est lui le cadeau ! »

jeudi 29 mars 2018

La mort et l'amour.



Cela faisait une semaine que j’essayais de composer mon homélie pour Pâques, pas moyen ! Chaque fois que je m’y attelais, la figure d’Arnaud Beltrame me sautait à la figure ! Pour finir, je crois que j’ai compris : Arnaud lui-même doit entrer dans cette homélie !

Arnaud est mort, et toute la France, tétanisée, stupéfaite, pleure… Mais, paradoxalement, son sacrifice – car c’est bel et bien un sacrifice, n’en déplaise à ceux qui disent qu’il n’a fait que son travail de gendarme – paradoxalement son sacrifice a donné un souffle de vie, a réveillé (tiens, c’est le même mot appliqué par l’Ecriture à la Résurrection : Jésus « s’est réveillé d’entre les morts »), a réveillé tout le pays. Tout à coup chacun se dit : « A cause de ces hommes qui donnent leur vie pour les autres, nous sommes un beau et grand pays, vivant, capable d’aimer et de sauver, loin de la volonté de puissance et du tout money. Il y a encore place chez nous pour le don gratuit. »  Oui,  Arnaud nous a réveillés.


Une devise de la gendarmerie : « Ma vie vaut moins que la vôtre.»… C’est un écho de la parole du Christ : « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Oui, le don de soi et l’amour des autres sont des valeurs extraordinaires que nous pouvons, sans faire les malins, proclamer à la face du monde.

Je dis bien : le don de soi ET l’amour des autres. Le don de soi, c’est la mort pour les autres ; l’amour c’est la vie, c’est Dieu.   La mort –« ma sœur la mort », disait François d’Assise – et l’amour sont frère et sœur. Avant Tristan et Yseult, avant les tragédies de Jean Racine, nous savions que le Vendredi Saint et le dimanche de Pâques sont un seul et même mystère.

La Résurrection, c’est l’amour qui traverse la mort. A la suite du Christ, Arnaud a fait un travail de résurrection. Et je dis que chaque fois qu’un homme, une femme ou un enfant sort de ses pantoufles pour aller vers les autres, ce qui veut dire marcher sur son confort pour sortir de soi, il fait un travail de résurrection.

samedi 24 mars 2018

Variations sur les anges



Les anges, à quoi ça sert ?

Comme le chant des alouettes ou l'odeur du chèvrefeuille, pour nous les anges sont là pour enchanter le ciel. Ils sont là pour chanter Dieu, éperdument, dans une sorte de joie non-stop comme la musique du MP3 si prisée par les jeunes à écouteurs…. Ils chantent, c’est tout. C’est rien et c’est tout.

Ma mère avait demandé que, pour ses obsèques, on passe le Requiem de Fauré, surtout le « In paradisum ». Au fond, pour elle, au-delà de sa mort, cette merveille était comme un prélude au chant des anges…. Car certaines musiques nous obligent à lever les yeux pour essayer d’apercevoir qui chante, à l’instar des alouettes, si haut dans le ciel.

« Il rit aux anges », dit-on devant un nouveau-né. En Afrique, on dit qu’il rit à Dieu. Au fond c’est la même trajectoire, car ceux qui croient aux anges savent bien que ceux-ci sont des flèches vers Dieu. Et le tout-petit est sans doute peiné de quitter une telle splendeur pour entrer dans la rude vie des hommes. Nous autres pauvres pioches, nous n’avons pas le temps de chanter, occupés que nous sommes par le business ! Nous préférons laisser aux moines, ou à la belle nature, le soin de la louange.

Dans la foulée, j’ai envie de penser que mon ange gardien, c’est Dieu lui-même. Dans la Bible, les quelques anges nommés, Gabriel, Michel, Raphaël, ont tous « el » dans leur nom, « el », « celui qui est », terme qu’emploie le Livre pour ne pas nommer Dieu, par respect. Et quand on parle de « l’Ange » au singulier, il s’agit d’une autre métaphore pour désigner Dieu. Dieu plus proche de moi que ma veine jugulaire, comme disent les musulmans… Depuis la venue de Jésus, nous autres chrétiens avons l’idée un peu folle que Dieu est à notre porte, qu’il est là où je ris, où je pleure, où je vis. Comme mon ange gardien, en somme.

L’art du Moyen Age et de la Renaissance a peuplé nos églises d’anges, certains plus beaux que Johnny Hallyday, d’autres joufflus, dodus, voletant de préférence autour de la Sainte Vierge. Ma foi, chacun est libre de son imagination. Aujourd’hui on préfère parler d’énergie, de fluide, de « pôle positif ». Quelque chose de fort et d’insaisissable. Mais le plus vrai reste que les anges gardiens sont un signe : celui de la proximité de Dieu.

Un jour, peut-être, joindrons-nous nos voix aux leurs ?

mercredi 21 février 2018

Le cœur sur la main


Tous nous avons connu le « médecin de famille », vous savez, cet homme qui, quelle que soit l’heure et la tempête, vient à votre chevet, prends son temps, ausculte, sourit, rassure et console. Il est devenu un ami à force fidélité.
Le cœur sur la main ! Voilà une belle expression française qui dit bien les trésors d’attention, d’affection même, du médecin de famille, loin des consultations vite fait sur ordinateur.

Des gens qui avaient le cœur sur la main, j’en ai connus pas mal ! A commencer par ce docteur Starrach, un balte aux yeux d’un bleu délavé, râleur, tonitruant, mais toujours prêt à rendre service… J’étais allé le voir avec un œil qui piquait. Il regarde et me dit : « Tu as une limaille de fer là-dedans. Puisque tu pars en congé, tu te le  feras enlever là-bas. »  Durée de la consultation : 8 minutes. Puis je lui dis : « Tiens, j’ai l’embrayage de ma Land-Rover qui patine. » Et nous avons passé 1h30 ensemble sous la voiture. Un homme de cœur, je vous dis… Je lui avais vendu une carabine, qu’il n’a toujours pas payée d’ailleurs, mais qu’est-ce à côté du cœur sur la main ?
Et l’inspecteur primaire de Mokolo!
Un breton, en granit bien sûr, toujours la bouteille de whisky prête à accueillir, qu’on soit curé, sous-préfet ou militaire. Devant sa maison, le drapeau camerounais comme il se doit. Mais derrière, un autre drapeau, noir et blanc, marqué "consulat de Bretagne".
Et le gérant du campement touristique de Rhumsiki ! Les lendemains du Jour de l’An, il ne manquait jamais de nous inviter avec les Sœurs pour « finir les huîtres ». Et il y en avait, et fraîches !... Et encore Fernand, qui « faisait la ligne » Douala-N’Djamena avec son 20 tonnes. Parfois cela lui prenait un mois. De temps en temps on se retrouvait pour de franches parties de rigolade… Et les frères Pinot : Pinot-Chien-de-brousse, Pinot-Curé, et  Dédé la Pintade, toujours là les jours de déprime… Je n’en finirais pas de raconter. C’était des blancs, mais avec l’Afrique au cœur.

De tels gens, de telles scènes, grandioses ou drolatiques,  me font souvenir du passé avec attendrissement, me disant que le cœur sur la main, cela sauvera le monde.


lundi 5 février 2018

Dieu, a quoi ça sert?

A rien... Dieu ne sert à rien.

La foi non plus, d'ailleurs. Quand je suis malade,  je vais aux urgences où je suis bien soigné. Pas besoin d'aller allumer un cierge! Quand j'ai faim, j'ouvre le frigo, pas besoin de multiplication des pains. Alors? Alors Dieu est devenu inutile, dépassé, ringard. Rideau sur Dieu.

Bon... Et si Dieu n'était pas du domaine de l'utile? Ouvrons l'évangile de Marc, qui n'est jamais en panne de pittoresque, et lisons 1/35-39. Jésus, après avoir guéri force malades, part au désert. Les gens le trouvent et disent :"Tout le monde te cherche!" Et Jésus répond à l'envers :"Allons ailleurs..." Alors que les malades attendent. Pas normal...

En fait, jésus a fort bien compris pourquoi les gens le cherchent :"Pas la peine d'aller voir le docteur, on a un guérisseur sous la main, et qui soigne gratis!"... Toujours les gens instrumentalisent Dieu! Et quand il devient inutile, on le jette comme une clé à molette usée.

Et si Dieu n'était pas dans la boîte à outils? Et s'il n'était ni dans les utilitaires ni dans les consommables?.


Parlons vrai: Dieu n'est pas du domaine de l'utile, mais du domaine de l'amour. L'amour, c'est vraiment autre chose qu'un tournevis ou une compresse. Voyez: un homme aime sa femme non pas parce qu'elle fait bien les tartes tatin ou le rôti de porc (même si ça aide!), mais il l'aime parce que c'est elle, un point c'est tout.

Dieu c'est pareil. Il est Dieu c'est tout. Il nous aime et on peut l'aimer. Et rester avec lui, c''est ce que l'évangile appelle le Royaume. Soyons clairs: en Marc 6/34, on voit Jésus remué, secoué en voyant les gens "comme des brebis sans berger".... Un troupeau sans berger, c'est la panique. Cela veut dire des gens qui font n'importe quoi, qui ne trouvent pas de sens  à leur vie. Alors Jésus se fait berger, il leur dit :"Entrez dans le Royaume, et vous trouverez sens à votre vie".

Voilà pourquoi Jésus dit :"Allons ailleurs." Les guérisons, les démons mis dehors, tout ça, ce sont des signes d'autre chose, pas plus. Des signes que le Royaume de Dieu est là, que l'Amour est là et qu'il est temps de virer notre cuti. Si Jésus "va ailleurs", c'est pour dire cela, c'est le centre, le top, le cœur de son travail.  Alors il guérit les malades, oui, il expulse les diables, oui, mais c'est pour montrer que le Royaume de l'amour a commencé.

Tu es chrétien quand tu entres dans ce pays de l'amour. Sinon rien.