vendredi 7 août 2015

2. La Mission, une rencontre.



On l'appelait l'agha Boughali. Un notable algérien au visage ouvert, fin lettré. Dans sa bibliothèque, la Bible précieusement reliée voisinait avec le Coran. J'aimais bien venir m'asseoir chez lui, une grande amitié nous reliait, ensemble nous refaisions le monde, moi le jeune et lui le noble vieillard.... J'ai retrouvé la même amitié sans fard chez Boukar, président des A.P.E.L. (Parents d'élèves de l'Enseignement Libre ) du diocèse de Maroua au Nord-Cameroun. Même maintien altier, même accueil affable, même ouverture d'esprit chez ce musulman bon teint.
Deux exemples qui me font dire que la Mission est rencontre. Une rencontre qui dépasse toute religion, rassemblant "dans l'unité les enfants de Dieu dispersés". On est bien, car on sent qu'on est dans le vrai; la vérité de deux enfants de Dieu qui se reconnaissent tels qu'ils sont au-delà de toute croyance, de tout système élevant forcément des barrières entre les hommes. Ces rencontres dépassent tout calcul humain, elles viennent de Dieu. C'est dans ce sens que je comprends  ce que disait Marcel Gauchet :"Le christianisme est la religion de sortie de la religion."

Le désir de la rencontre peut jalonner toute une vie, que ce soit avec les anciens des villages au Nord-Cameroun, jusqu'aux gens des cités à Marseille. Elle vient d'une conviction chrétienne, celle qui animait Jésus quand il "promenait son regard" dans le Temple, cherchant - du moins je me plais à le penser - cherchant qui rencontrer, à qui révéler ce qu'il avait sur le cœur, et  aussi à écouter  ce que l'autre avait sur le cœur. Ces rencontres, à chaque fois, provoquent le même émerveillement qu'éprouva Jésus devant la foi du centurion romain.
Le désir de la rencontre fait vraiment partie de notre mission, car elle vient du cœur et va au cœur.... On parle beaucoup d'œcuménisme, d'assemblées plénières, d'universités d'été, et on fait bien. Car peu à peu s'instaure une culture de la rencontre; je crois que ce désir anime profondément le pape François, lui qui, encore évêque de Buenos Aires , aimait visiter les paroisses des quartiers pauvres. Mais il se méfiait des "rencontres en chambre, qui manquent de contact physique avec les pauvres" (Encyclique Laudato si, p. 30).
Dans l'Evangile, il y a la parabole du filet qui ramasse les hommes pour le Royaume de Dieu. Je n'aime pas trop cette image du filet; elle a des relents de piège, de racolage forcé. Or Jésus rencontre des hommes et des femmes libres. Des hommes et des femmes qui viennent librement à lui, avec leur culture, leur art de vivre, leurs rêves, leur histoire. L'inculturation, ce mot un peu compliqué dont on parle tant aujourd'hui dans l'Eglise, c'est bien cela: une rencontre entre l'homme libre et l'évangile, entre le génie d'un peuple et la foi. Sans ce rendez-vous, il n'y a que croisade et évangélisation superficielle annonçant la double vie, le mensonge ... et la catastrophe.
Pour finir, disons qu'il faut faire attention à l'inattendu de Dieu. Sortons de nos schémas de chrétiens pratiquants, car Dieu peut nous rencontrer par surprise. Je pense à Patricia, cette jeune animatrice de rue avec qui j'ai bien travaillé à Marseille. Elle avait un sens des autres, une attention aux petits extraordinaire. Or, Patricia avait été formée par ... les Jeunesses Communistes.
J'ai rendu grâces pour Patricia.