jeudi 24 octobre 2013

Déracinés

Bien carré dans mon fauteuil, je regarde les lybiens débarquer, hagards, les yeux vides, étonnés d'être encore en vie, sur les quais de Lampédusa.... Séquence suivante: la rage et le désarroi des licenciés d'Alcatel. On saute ainsi d'une misère à l'autre, mais ma foi on voit tant de choses à la télé qu'on finit par être comme anesthésiés. Surtout si ce n'est pas à notre porte.

Et pourtant, à y bien regarder, ne sommes-nous pas , d'un côté comme de l'autre, de Lampédusa à Alcatel, face à un même drame: celui des déracinés? D'un côté, des gens pour la plupart jeunes, qui à force de se taper la tête contre les murs là-bas, finissent par tenter le désert et la traversée. Et les voilà souvent seuls, sans repères, sans comprendre la langue, errant à Calais ou ailleurs. De l'autre, des gens qui ne comprennent pas bien ce qui leur arrive ni pourquoi ils doivent rester sur le quai. Des déracinés eux aussi. Et à 50 ans, allez recommencer une formation, changer de quai, trouver de nouvelles racines.

Vous me direz qu'on en a vu d'autres: les boat-people, les pieds noirs d'Algérie, tout ça. J'ai moi-même connu "l'exode" en 40, mais ce sont des souvenirs d'enfant: un voyage de plus, un bombardement dans cette maison qui tanguait... Peut-être ce 21ème siècle est-il celui des déracinements. Combien de jeunes qui cherchent du travail, savent à peine où ils sont nés, combien de fois ils ont déménagé, quelle terre ils ont quitté. Ce ne sont pas des réfugiés, loin de là, mais peut-être comprennent-ils, mieux que nous les anciens, la peine des licenciés et l'espérance des réfugiés.

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