mardi 22 mars 2011

oubli

J'ai oublié de marquer le nom de l'ami à cheval! Il s'agit de Guy Deswarte, résidant à Malo-les Bains.

Guerre


Les enfants jouent à la guerre, c'est connu. Ils jouent dans les ruines, ils regardent les combats aériens comme d'amusants ballets, ignorant que ces ballets sont mortels. Mais parfois, ils ont peur. Et chaque jour, des enfants meurent...

Voici un souvenir d'enfance qu'un ami m'a envoyé. J'ai d'autant plus d'émotion à le transcrire que j'ai vécu moi-même à peu près la même chose, cheval mis à part. Mais au même moment et presque au même endroit. Voici...


Lynck juillet 1944. J'ai treize ans. Je suis en vacances chez ma marraine, éloigné de notre ferme de la Grande Mare, à Bray-dunes, toujours occupée par les allemands. Il semblait y avoir moins de danger à Lynck. Les allemands sont encore là, mais leur moral est en berne. Les troupes restantes sont vieillisssantes, leur seul espoir réside dans leur machine de guerre, soit les premiers avions à réaction, soit les fusées. L'ambiance générale est toujours à la guerre, et les Alliés nous passent souvent sur la tête. La bataille fait rage en Italie et en Normandie.


A Lynck, c'est la pleine moisson, il fait très chaud. Nous sommes noirs de transpiration et de poussière. Je travaille comme un homme et range les bottes de blé sur les chariots, le travail le moins pénible.

Mais Kali, une jument de race boulonnaise, blanche pommelée, douce et calme, est déferrée et l'oncle David me demande de la conduire chez le maréchal-ferrant, à 4 kilomètres... La route qui y mène passe par un grand pont métallique et longe ensuite le canal de St Omer. Elle est bordée de grands ormes. Installé sur le dos bien large de ma monture, je vais sans soucis à un train de sénateur, l'oeil disponible mais aux aguets... Malheureusement le maréchal-ferrant, trop occupé, me demande de revenir le lendemain.

Demi-tour donc dans la même ambiance. Mais j'entends et je découvre, curieux, quatre chasseurs sur l'horizon, survolant la forêt d'Eperlecques toute proche. De là sont lancés chaque jour les fameux V1 destinés aux anglais. Quels dégâts n'occasionnent-ils pas à nos amis à la fois si proches et si éloignés!


Mais que vois-je? Les chasseurs viennent dans ma direction, plongeant vers le canal. Et ils mitraillent! J'ai juste le temps de sauter de cheval, rènes en mains, et de me cacher derrière un arbre. Le bruit est épouvantable et j'ai bien du mal à tenir ma bête effrayée. J'ai une peur bleue, réussis à monter sur ma bête nerveuse, et nous repartons vers le village.

Mais les avions font un cercle et semblent revenir. Voilà une ferme à gauche. Je descends de cheval et l'attache rapidement à la barrière d'entrée, me précipite dans la cuisine dont la porte est ouverte. Tout tremblant je me cache derrière une armoire et me mets à prier.

Le bruit des avions est infernal, mais je ne peux m'empêcher de remarquer mon environnement: deux paires de fesses de jument de brasserie dépassent de dessous la table; dans un autre coin, une jeune fille est accroupie, et j'entends deux voix réciter un Acte de contrition de circonstances auquel je me joins bien sûr. Les balles claquent dans les toitures.


Puis les avions s'en vont et je ne pense qu'à rentrer. En sortant, j'entends des cris de femme qui semblent provenir d'une péniche. La grange de l'autre côté du canal est en feu. Je détache mon cheval très excité, et le monte difficilement. Il voit l'incendie et part au triple galop, ne pensant comme moi, qu'à regagner son écurie. Impossible de le ralentir; il passe le pont métallique au bruit des sabots aux trois quarts ferrés d'une bête de 800 kilos. Tout le village me regarde arriver, mais le cheval ne ralentit pas malgré les deux bras ouverts de l'oncle tâchant de le ralentir.

J'ai juste le temps de me baisser sur l'encolure pour rentrer dans l'écurie. Je descends, mais mes jambes ne me portent plus et je tombe dans les bras de ma tante accourue.

La grange a brûlé, les cris de femme étaient ceux de la marinière blessée... C'est là qu'on apprit que ces péniches transportaient les fameux V1 d'Allemagne en France.


Malgré ces événements, comme tous les soirs de moisson, nous irons prendre notre bain salvateur, mon cousin et moi, non pas dans une baignoire (il n'y en avait pratiquement pas dans les fermes de l'époque), mais dans le canal tout proche, dans une eau bien plus claire et plus propre qu'elle ne l'est actuellement. Quel plaisir!

mardi 8 mars 2011

Sécularisation (suite et fin)


Oui, il faut aller plus loin... La sécularisation est une chance, mais pas n'importe comment. Elle le sera à condition d'aider l'homme à se lever droit dans ses bottes. Que la solidarité l'emporte sur le "moi d'abord"; que l'esprit de compétition cède le pas au souci du bien commun; que la tendresse contredise l'orgueil. En un mot, que l'être l'emporte sur l'avoir.

Ce sera/c'est un combat de tous les instants, combat auquel tout homme de bonne volonté sera/est convié. De fait, ce combat pour l'être est un des enjeux de la mondialisation.

Prendre acte de la sécularisation, s'y sentir à l'aise, se dire qu'elle est une chance, et se rendre compte des enjeux pour que ce soit un projet réussi, voilà une nouvelle façon de penser le christianisme. C'est à la fois une nouvelle manière et une très vieille manière, car elle est dans le prolongement de l'Incarnation.

Mais il faudra se souvenir, pour apporter une nuance aux propos du Cardinal dans "Confession d'un cardinal" page 379, que les chrétiens ne sont pas seuls à vouloir humaniser la mondialisation. Il s'agit pour eux de jouer leur partition dans la chorale de tous ceux qui se rendent compte des enjeux. Ouvrons les yeux et les oreilles pour voir et entendre ceux qui ont commencé à se lever pour "vivre autrement": chrétiens ou pas, musulmans ou bouddhistes... Hommes de bonne volonté, tout simplement, à l'instar de tous ceux qui se retrouvent dans les révolutions arabes actuelles, entre autres.

Alors nous les croyants, découvrirons avec émerveillement que l'Evangile et ses valeurs seront revendiqués comme leurs par tous ces gens de bonne volonté. On croyait l'Evangile disparu, perdu dans les églises désertées, et voilà qu'il devient l'âme du siècle!

Vous allez me dire que je rêve en couleurs, que c'est de l'utopie? Martin Luther King rêvait aussi... D'ailleurs, bien des chrétiens vivent déjà la sécularisation de façon très positive. Par définition, ce n'est pas aussi voyant que les prédicateurs de rue, mais c'est tout aussi vrai. Je puis en témoigner au sortir des Semaines Sociales de France, et en rencontrant ces chrétiens marseillais des quartiers Nord-Est. Non, ce n'est plus tout à fait un rêve.